Pour l’humain, pour le monde, pour l’utopie

Rémi Garcia
17 min readSep 8, 2021

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Je ne vais pas en rajouter une couche. Tout le monde le répète assez souvent : on est dans la merde ! Crise écologique, crise sociale, crise politique, crise économique… Bienvenue dans le monde moderne.

Photo by CHUTTERSNAP on Unsplash

Pourtant ce monde n’est pas une fatalité, en tout cas, c’est ce que je veux croire. C’est vrai, il y a quand même des choses extraordinaires qui nous entourent constamment. La liberté d’internet (et majoritairement de parole et de pensée), l’ouverture sur des quantités astronomiques de savoirs, la possibilité de vivre plus vieux, en meilleure santé, le confort … Haaa le confort ! Nous vivons comme des rois sans même nous en rendre compte. Eau chaude, chauffage, voitures… Beaucoup de nos ancêtres auraient rêvés de vivre dans un tel confort et la majorité n’auraient même pas pu imaginer avoir le dixième de ce que nous vivons tous quotidiennement. Notre confort est un luxe que nous oublions trop souvent.

Mais ce confort a un prix. Il est la source de notre bonheur mais aussi de nos plus grands malheurs. C’est pour lui que nous détruisons les ressources naturelles, que nous faisons tourner à plein régime notre économie, que nous enrichissons toujours plus de personnes qui nous exploitent et nous appauvrissent, que ces inégalités, ces injustices crées de la dissension voire même de la haine. Et qu’on ne s’y trompe pas. Il n’y a pas de Grand Vilain, unique responsable pour tous les maux de l’humanité. Ce n’est pas l’oligarchie, ce n’est pas le numérique, ce n’est pas la finance, ni le système capitaliste, ce n’est pas les politiques, ni les riches, les pauvres, les étrangers ou les parasites. Il y a pas de grand coupable qui une fois descendu de son trône de gré ou de force, nous conduira dans un paradis merveilleux de paix et d’harmonie. Il n’y aura pas de Grand Soir. Il n’y a pas de Grand Vilain car rien n’est aussi manichéen. Rien n’est tout bon ou tout mauvais. Tout noir ou tout blanc. Le monde est complexe (mais pas forcément compliqué), tout en nuance, en équilibre. Mais je digresse… revenons à notre affaire.

Nous décidons de ce que nous voulons faire de notre monde en essayant de jouer avec les paramètres que nous avons. En tant que designer, je le vois bien. J’ai participé à trouver des techniques pour augmenter le panier moyen d’acheteurs, je veux dire à les forcer inconsciemment à consommer plus même quand ils n’en avaient pas besoin mais j’ai aussi construit pendant des années un outil pour permettre aux élèves d’école primaire de découvrir le numérique et rendre l’école plus sympa. Mais il y avait des inconvénients et des avantages de chaque côté. Je pouvais donc autant aider un client à faire le bon choix dans l’achat d’un produit que de coller un gamin devant un écran alors que ce n’était ni utile, ni indispensable. Ce que nous fabriquons, la technologie en règle générale, ne sont que des outils. Des outils que nous pouvons utiliser à toutes les fins possibles.

Mais ces dernières années, je me suis beaucoup posé la question : Est-ce que je ne fais pas plus de mal que de bien ? Je n’ai pas la réponse. En tout cas ce qui est sûr c’est que je reste persuadé que l’on peut faire mieux. Que les défis qui se présentent à nous peuvent être relevé. Non pas par la toute puissance de la technologie ou du génie humain mais par le rêve, la volonté de rendre le monde meilleur et dans le respect de la vie.

Je suis un de ces rêveurs comme dans la chanson de Lennon et ce qui va suivre est la philosophie que je voudrais proposer au monde du design (et j’espère que tu la rejoindras).

Pour l’humain, pour le monde, pour l’utopie.

Pour l’humain

La technologie concerne uniquement les humains. C’est notre truc. Si pendant longtemps la technologie a permit à l’humanité de grandir autant depuis quelques dizaines d’années, aujourd’hui elle nous dépasse. Poussé par l’idée de progrès nous fuyons en avant pour aller toujours plus loin. Loin de moi l’idée de rejeter tout ça de but en blanc. Cette technologie a apporté de grandes choses et nous a offert la possibilité de dépasser toutes nos limites. Je préfère le monde avec la médecine, la science, l’art ou internet que sans. Ce confort que j’évoquais en introduction est une bénédiction ou du moins il l’a été. Car les choses sont en train de changer.

L’humain et la technologie

Mais pour expliquer mon propos, je dois faire un léger détour. Une petite digression à l’origine de notre espèce. Il y a 2,5 millions d’années apparait quelques part en Afrique, ceux qui deviendront les premiers représentants de cette espèce dont nous faisons partie, le genre Homo. Des primates un peu particulier possédant un ancêtre commun avec le chimpanzé moderne. Il y a fort à parier que notre lointain parent était plus proche du singe que de nous, pourtant au cours d’une longue et lente évolution, notre espèce se transforme peu à peu dans un foisonnement d’autres espèces d’Homo jusqu’à environ 300 000 ans où apparait ce qui semble être les premiers Homo Sapiens. Pendant 240 000 ans (-60 000 environ), notre espèce va encore évoluer jusqu’à devenir l’Humain moderne que nous sommes tous. Il faudra encore 51 000 ans (-9000) pour découvrir les premières traces de sédentarisation et le début de notre style de vie actuel. Aujourd’hui notre espèce évolue toujours mais le rythme de l’évolution est lent… terriblement lent.

Il n’est donc pas étonnant de voir que beaucoup vivent mal dans notre monde moderne. On voit une explosion des cas de maladies chroniques comme l’obésité et le diabète, nos corps souffrent de la sédentarité et des troubles psychiques comme le burnout, la dépression, le bore-out… terrassent des millions de personnes à travers le monde. Certains chercheurs craignent même que nous ayons atteint un pic de l’espérance de vie et de l’intelligence conduisant à un inexorable recul (ceci est à prendre avec des pincettes bien sûr mais n’est pas forcément complètement faux). Michel Desmurget, dans son livre La Fabrique du Crétin Digital expose un à un les risques sanitaires apportés par la révolution numérique comme la baisse des capacités cognitives, troubles de l’attention et j’en passe. Selon lui, on est bien loin des Digital Natives qu’on nous vend sans arrêt, ces enfants aux dons innés pour les technologies numériques adaptés au nouveau monde qui arrive. Et la philosophie du design (et donc du commerce) qui veut que notre monde devienne un monde exempté du moindre effort ne va pas améliorer les choses.

Car si nous sommes bien adapté à un environnement, c’est plutôt à celui d’avant la technologie, le monde préhistorique. Un monde ouvert sur la nature, actif, hautement social, où l’air était pur, la nourriture variée. Les découvertes archéologiques et anthropologiques montrent que la vie préhistorique n’était pas forcément l’enfer de famine et de détresse que l’on veut bien s’imaginer. Les humains étaient plus grands, avec un cerveau plus gros et étrangement en quasi excellente santé. Ils s’occupaient des gens faibles, handicapés ou trop vieux et avaient de très forts liens sociaux. Quant à leur travaux de subsistances, elles ne devaient pas excéder 3 ou 4 heures par jour (et quand ils travaillaient plus, les journées étaient entrecoupées de multiples siestes). Bien sûr, il y avait des côtés négatifs, une mortalité infantile extraordinairement élevée, une espérance de vie plus faible, plus de risques de mourir de blessures et de maladies et les paléoanthropologues ont bien du mal à statuer si les guerres claniques étaient fréquentes ou non. Il fallait faire des efforts pour obtenir ce dont on avait besoin, tout construire à la main, être mobiles, résilients… Mais si nous sommes toujours présent aujourd’hui, c’est aussi parce que ce n’était pas une mission impossible.

Étrangement, nous nous construisons actuellement un monde sans effort qui nous conduit plus vers la vie des humains de Wall-E que vers celui d’humains pleinement capables.

Extrait du film Pixar : Wall-E

Par le design, nous éliminons progressivement toutes les difficultés et laissons à la machine le pouvoir de décider de nos vies. On a pas le temps de faire à manger (ou pas l’envie) alors on se fait livrer. On troque la marche contre des trottinettes d’abord propulsées par nos corps et maintenant par une batterie et un moteur électrique. Même nos relations sociales sont externalisées à travers les réseaux sociaux, simulacre d’une vie sublimée pleine d’amis que nous ne connaissons pas et qui ne communiquent que par likes.

Le problème principal est que l’idéologie qui pilote le monde est cette voie du “sans effort” or elle est à l’opposé de ce à quoi nous sommes adaptés. Et non, nous n’allons pas nous adapter aussi vite. Le rythme de l’évolution est trop lent. Doucement, nous perdons certaines capacités essentielles à notre vie et potentiellement à notre survie. Nous vivons une véritable aliénation technologique. Combien d’entre-nous sont encore capable de faire pousser leur propre nourriture, potabiliser de l’eau, fabriquer une étagère (j’ai bien dit fabriquer de zéro pas monter un meuble Ikea) ou tout simplement passer plus d’une heure sans toucher leur smartphone ?

Encapaciter l’humain

Nous devons changer de voie. Un design pour l’humain est un design qui respecte nos besoins profonds. Pas les artifices idéologiques des pro-technologie transhumanistes. Par exemple, l’effort n’est pas mauvais en soi. L’effort c’est ce qui nous permet de rester au meilleur de nos capacités, de faire fonctionner nos neurones et nos corps et de les améliorer. Le design doit avoir le même résultat.

Le but du design ne doit pas être de réduire l’effort mais d’encapaciter.

Il doit permettre de faire mieux sans jamais se substituer à la compétence humaine. Pour ça il faut comprendre la différence entre un outil et un assistant. Aujourd’hui les deux notions se mélangent (car l’assistant est vu comme un outil) mais elles sont pourtant bien différentes.

La pierre taillée a été le “premier” outil de l’humanité. Elle a permit à notre espèce de décupler nos capacités. Avec la pierre taillée la chasse est devenue plus simple, il était possible de dépecer les animaux pour en récupérer des matières premières qui serviront à concevoir d’autres outils ou on pouvait trancher la chair assez finement pour en faciliter l’absorption par notre organisme. L’outil permet de faire plus mais sans jamais se substituer à celui qui l’utilise. L’opérateur reste le seul maître à bord. Il décide de ce qu’il faut faire, comment le faire, pour quel résultat… On ne verra jamais un tournevis nous expliquer comment visser une vis, à quel endroit, ni même le faire tout seul. Le seul rôle du tournevis est d’offrir à l’humain la capacité de visser. Ni plus, ni moins.

L’assistant de son côté remplace la compétence, il l’externalise, il fait “à la place de”. Prenons le métier d’assistant de direction pour l’exemple. Sa mission est entre autre de gérer l’agenda de son supérieur à sa place. Ce dernier n’ayant pas le temps de s’en occuper délègue cette tâche. Or en le faisant, il perd sa capacité à gérer son temps. Il n’est d’ailleurs pas rare de voir des dirigeants qui se laissent guider par leurs assistants tout au long de leur journée. Ce dernier, lui indiquant la prochaine étape de sa journée. Il se passe la même chose quand nous nous faisons livrer nos repas, quand on utilise le correcteur orthographique ou qu’on laisse l’autoplay sur Youtube. La machine finit par décider à notre place de notre vie.

Cela peut paraître mineur. On peut se dire que laisser la main à un assistant nous permet de nous concentrer sur ce qui est le plus important pour nous. Pourtant dans les faits, nous nous aliénons doucement à des technologies et perdons de précieuses capacités. Par exemple avec nos smartphones, nous avons perdu la capacité de nous repérer dans l’espace (à cause du GPS), de réfléchir à comment résoudre une situation par nous même (à cause d’un accès constant à des savoirs et des tutoriels), de laisser des temps de repos à nos esprits (à cause d’une connexion constante à tout) ou de rester focaliser longtemps sur une action (à cause des multiples applications conçues pour attirer notre attention et la peur de rater une information).

Notre mission de designer est donc de concevoir des outils plutôt que des assistants.

À la place de Deliveroo (ou n’importe quelle autre application de livraison), nous pouvons proposer des solutions pour aider les gens à cuisiner plus et à trouver le temps (et l’envie) de le faire. À la place de Uber, nous pouvons repenser l’urbanisme pour favoriser la marche ou les modes de déplacements légers (vélos, skateboards…) en créant des couloirs spécifiques couverts et protégés, en modifiant ou en offrant un accès à toutes les commodités à une distance respectables (15 minutes par exemple). À la place de telle ou telle intelligence artificielle d’aide à la décision (je pense notamment aux solutions de guidage des téléopérateurs qui retire l’expertise de ces derniers pour les transformer en simple relai d’un arbre de décision high-tech), nous pouvons aider à mieux éduquer, à mieux comprendre ou à motiver à mieux faire…

Pour le monde

Si l’humain est à la base du travail de tout designer, il doit le faire dans le respect du monde qui l’entoure. Étrangement ce qui est bon pour l’humain est souvent bon pour son environnement. Encore une fois, je vais devoir faire un petit détour pour l’expliquer.

Photo by David Marcu on Unsplash

La distinction nature et culture

Il n’est pas rare de voir cette idée associé aux Lumières ou dans sa suite à la Révolution Industrielle. Une idée qui voit une séparation distincte entre le monde naturel et celui des humains. La nature est sauvage, dangereuse, brute et déterminée, là où l’humanité est ordonnée, réfléchie, consciente. Pourtant cette idée remonte à plus loin dans le temps et peut même être pensée comme un fondement de notre société.

Comme je l’expliquais plus haut, la grande majorité de l’histoire de l’humanité était un monde de chasseurs-collecteurs. L’humain était minoritaire dans une nature omniprésente. Les croyances animistes des dernières populations de chasseurs-collecteurs montrent qu’ils se voient comme intégrés dans la nature, il font partie de ce monde.

Pourtant à une époque, au moment de la sédentarisation et des premières Cités-États, les croyances changent ce qui peut s’expliquer par un changement de perception de la position de l’humain dans le monde. On y voit apparaître des mythes avec une hiérarchisation des dieux. Ces dieux, au dessus de la nature et qui peuvent décider de l’exploiter selon leur bon vouloir. Ces mythes sont certainement le reflet d’une nouvelle vision du monde. Un monde où l’humain est différent du reste. Cette vision se justifie assez bien, l’humain construit des outils, bouleverse les écosystèmes pour se favoriser, est doué de langage et d’intelligence. Il est loin des capacités des autres êtres vivants.

Est-ce que les humains ne le faisaient pas avant ? Bien sûr que si. Il a toujours remodelé son environnement, fabriquer des outils,… La seule chose qui a changé est le sens qu’il a donné à ces capacités.

Cette nouvelle appréhension du monde, à fait émergé les religions, poussé l’humain à voir son environnement comme un stock de ressources qui lui est destiné, à se voir toujours plus supérieur, en dehors, du monde qu’il habite. Aujourd’hui nous faisons encore cette distinction. Il y a la Nature, cet objet de verdure sauvage peuplé d’animaux qui s’oppose à nos villes, nos routes, nos constructions physiques ou intellectuelles, là où les populations “primitives” ne voient que le monde dans lequel ils vivent.

Le concept de nature extérieure à l’humanité n’existe pas. Nous sommes aussi la nature.

Les limites de notre environnement

Malheureusement si l’imagination humaine, sa vision de sa position hiérarchique, ne subit aucune limite, ce n’est pas le cas de notre environnement.

Nos ressources sont limités. Limités parce que nous vivons sur une sphère de 12 742km de diamètre entourée de vide et que ça ne changera pas. La Terre ne grossit pas, elle ne crée pas de nouvelles ressources par magie. Le stock est fini, par définition. Et si une partie de ce stock est renouvelable, il lui faut du temps pour se reconstituer. Théoriquement, le pétrole pourrait se renouveler, il lui faudrait juste quelques millions d’années pour le faire (ce qui coïncide mal avec notre vitesse de consommation). Or depuis deux siècles environ maintenant nos tapons dans ce stock bien plus rapidement et fortement que ce que le système est capable de supporter.

En plus de cette limite de matériaux ou de ressources, notre monde possède aussi des limites systémiques. On peut imaginer la Terre comme un organisme avec ces mécaniques particulières. Nous avons le système sanguin, la Terre a son cycle de l’eau. Nous avons un système immunitaire, la Terre à un système de régulation darwinien de sa population. Comme pour un organisme cet équilibre écosystémique est fragile et surtout il existe des points de rupture, des limites qui peuvent faire basculer le système et le faire changer d’état. C’est par exemple ce qui se passe lors des périodes de glaciation et de réchauffement qui ponctuent l’histoire de notre planète.

Aujourd’hui nous savons que nos modes de vies ont un impact flagrant sur l’équilibre de ce système. Notre façon de vivre perturbe les écosystèmes (déforestation, urbanisation, exploitation des ressources) et crée une pollution (plastique, CO2, méthane) qui met cet équilibre en danger. Et cet équilibre est précieux pour la vie qui s’y trouve (et jusqu’à preuve du contraire, nous faisons partie intégrante de cette vie).

Respecter le monde

En tant que designers, nous qui sommes les créateurs de ce qui fait notre vie quotidienne, nous nous devons de repenser notre façon de produire. Nous devons prendre en compte les limites de notre monde. C’est certes plus facile à dire qu’à faire. Nous ne sommes au final qu’un rouage dans le système. Pourtant notre mission, que dis-je notre devoir, est de pousser le changement dans la bonne direction. Nous devons concevoir des objets, des services, des produits qui répondent à ces enjeux.

D’abord en tuant le maximum de projets possibles. En montrant l’inutilité qu’ils ont et en pensant les enjeux plus loin que sur le court terme même si c’est difficile. Nous devons avoir une vision systémique et comprendre les changements que nous allons apporter.

Ensuite en concevant des projets qui sont le plus neutres possibles pour notre environnement. Il faut penser éco-conception, low-techs, biomimétisme, conception circulaire… Faire les choses différemment, revoir nos unités de mesures.

Enfin, dans la mesure du possible, nous devons penser des projets pour régénérer le monde. L’aider à s’épanouir, à reprendre sa place et à inclure l’humanité dans cette nature. Il faut aller plus loin que la simple neutralité chaque fois que c’est possible.

Pour l’utopie

Ce qui m’amène à mon dernier point : l’Utopie. Le plus difficile à définir. Car ici nous parlons de l’avenir. De ce que nous voulons construire. De cette perfection impossible à obtenir. Pourtant l’utopie a toujours été le moteur de l’humanité. La volonté de faire mieux, de vivre mieux, de dépasser toutes les limites. Et si elle nous a conduit dans l’impasse dans laquelle nous sommes aujourd’hui, elle peut aussi prendre une autre voie. Car l’utopie n’est au final qu’une belle histoire.

Homo Fictio

Après la technologie, les histoires sont certainement la chose la plus importante de l’Humanité. Tout, de nos structures sociales à nos façons de voir le monde sont en fait des histoires. Les histoires accompagnent notre espèce depuis certainement le début, notamment à travers nos mythes.

Quand en 2014, le livre Sapiens de Yuval Noah Harari sort dans les pays anglophones, il fait l’office d’une bombe. La thèse de l’auteur est simple, si l’humanité est si différente des autres espèces animales et a dominé le monde, c’est parce qu’il y a environ 70 000 ans une petite révolution s’est produite. Une révolution cognitive qui lui a permit de collaborer plus efficacement dans des groupes toujours plus grand.

Cette révolution est la capacité de croire en des choses qui n’existent que dans son imagination.

Selon Harari, les dieux, les nations, l’argent, le capitalisme, les droits de l’homme, le progrès… ne sont que des inventions de notre esprit que nous prenons pour vraies. C’est cette capacité fictionnelle, cette capacité de nous regrouper sous la croyance d’histoire qui a conduit notre espèce, là où elle se trouve aujourd’hui.

Archéologiquement parlant c’est d’ailleurs plutôt justifiable. James Scott, un anthropologue américain, explique dans son ouvrage Homo Domesticus, que la sédentarisation, le début de l’agriculture, n’est pas une révolution. Ou en tout cas n’est pas la révolution à laquelle nous croyons tous. En effet, certaines populations préhistoriques pratiquaient largement l’agriculture et la sédentarisation bien avant les premières Cités-États. À l’époque où les humains se croyaient encore connectés à la Nature, ils modifiaient leur environnement pour favoriser la repousse des végétaux qu’ils préféraient, voire même dans certaines régions pratiquaient carrément une agriculture telle que nous la connaissons. Tout comme la sédentarisation était présente. La différence était que l’une comme l’autre étaient des stratégies parmi d’autres afin de permettre la survie. Quand les conditions n’étaient plus favorables, ils repassaient à des modes de vies nomades ou de collectes (bien qu’ils ne les aient jamais vraiment abandonnés). Avec les Cités-États, la sédentarisation et l’agriculture deviennent les modes de vies privilégiés mais c’est surtout un nouveau mode de pensée qui voit le jour. Une nouvelle vision du monde où l’humanité passe d’une spiritualité de la Nature comme on peut le retrouver chez plusieurs populations primitives modernes aux premières mythologies possédant des Dieux hiérarchisés qui ordonnent le monde. Une vision du monde qui extrait l’humain de la Nature car élu par les Dieux et la validation que certaines castes ont plus de valeurs dans l’échelle sociale que d’autres rendu possible par la séquestration et la redistribution des céréales par une élite (un mode de pensé que nous pouvons retrouver encore aujourd’hui dans l’organisation de nos sociétés si on remplace céréales par argent).

C’est la croyance commune en des histoires qui construit la société dans laquelle nous vivons.

L’importance des utopies

Les utopies sont des histoires et si les histoires peuvent transformer nos sociétés alors il est dans notre intérêt de produire autant d’utopies que possibles. Car les utopies sont au coeur de nos rêves en tant qu’humains. Elles sont les moteurs inconscients qui poussent nos façons de vivre dans un sens ou dans un autre. La science-fiction en est un excellent exemple. La conquête spatiale, la colonisation des autres planètes, les voitures autonomes, l’intelligence artificielle, l’ordinateur, les smartphones sont le fruit de cette littérature qui est tapie dans notre esprit via les films, les séries ou les livres que nous avons consommés. Même la tendance minimaliste du design numérique reflète quelque part la vision du futur d’un blanc impeccable où rien ne déborde des imaginaires de la science-fiction. Il suffit de regarder les quelques vidéos sur la vision du futur de Microsoft pour en sentir tout de suite l’influence.

Et entre-nous qui, en voyant ces vidéos ne rêve pas de vivre dans un tel monde ? Les utopies sont les choses qui nous donnent envie d’aller plus loin, de rêver un monde plus beau.

L’utopie est une force puissante mais elle doit être manipulé avec soin. Car si ces visions de Microsoft de l’avenir sont éblouissantes, elles sont aussi en partie la cause de nos problèmes modernes. Pour créer ce monde d’écrans et de connectivité absolue, cet univers où tout se fait sans le moindre effort, c’est aussi des champs de serveurs à pertes de vue, toujours plus de consommation d’énergie et d’extraction de minerai. Tout ces choses qui sont aussi responsables de l’urgence climatique.

Les designers comme rêveurs du monde

Je crois sincèrement que nous, designers, nous devons devenir des rêveurs de mondes. Car derrière les objets que nous pensons c’est bien une utopie que nous nourrissons. Mais nous devons devenir des rêveurs de monde, conscients des enjeux et des risques. Si la créativité est la force des designers (et non la technique ingénieuriale comme on voudrait nous le faire croire actuellement), alors mettons la à profit pour créer de nouveaux modèles de vivre au monde. Tous ne fonctionneront pas mais tous doivent tendre vers ces utopies. Vers cette ambition de trouver les meilleures façons de vivre.

Nous, designers, devons devenir des rêveurs, des conteurs, des penseurs, des philosophes, des faiseurs pour faire glisser le monde vers ce qu’il a de plus beau pour l’humain, pour le monde, par l’utopie.

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Rémi Garcia

Designer d’expérience un peu rebelle, passionné d’éducation, touche-à-tout, illustrateur et auteur à ses heures perdues. Geek dans la vraie vie.