Définir le design

“Il y a autant de définition du design que de designers” Voilà l’une des réponses les plus courantes quand on demande à un designer de définir sa discipline. Certains répondront même qu’il est impossible de définir le design. Qu’au mieux, on peut expliquer ce que fait le designer mais pas beaucoup plus. Le design se veut volontairement indéfinissable. Il est mouvant, soluble, tant dans sa pratique que son époque.

Au quotidien, le terme est utilisé pour désigner plusieurs choses. D’abord en tant qu’adjectif, pour exprimer les qualités plastiques d’un objet et l’élitisme social : posséder ou savoir apprécier un objet “design”, c’est montrer que nos goûts et notre culture sont supérieurs. Le design est ensuite l’objet. Son nom est celui de la production finale d’un designer qui délivre un design tangible et bien réel. Il est aussi la mécanique interne de cet objet comme l’exprime la célèbre citation de Steve Jobs : “Le design ce n’est pas seulement l’aspect ou la sensation. Le design c’est comment ça fonctionne”. Plus que l’objet physique c’est son fonctionnement interne et son mode d’interaction qui est ici mis à l’honneur. Le design peut aussi être le mode opératoire par lequel on produit un objet. La méthodologie ou l’absence de méthodologie, une façon de penser. On fait alors du design thinking, du design centré utilisateur, du design frugal… Enfin le design est discipline. Une technique, un métier avec un ensemble de savoir-faire, de théorie et une culture commune dont le pratiquant est le designer.

Cette accumulation de sens complexifie la définition du design, tant pour les professionnels que pour le reste du monde, et participe à cette indéfinition du design. Comment alors définir quelque chose qui possède tant de significations ? De quoi le design est-il finalement le nom ?

C’est à cette question que je vais tenter d’apporter une réponse. Cet essai cherche modestement à démontrer que le design est loin d’être l’objet insaisissable que les designers voudraient qu’il soit. Au contraire, il peut se définir en deux affirmations très simples :

  1. Le design est une activité de création délibérée.
  2. Le design se pratique dans le cadre d’une technique et d’un contexte idéologique.

On peut légitimement se demander quel est l’intérêt de répondre à cette question ? Après tout le design s’en est passé jusqu’à maintenant sans que cela gêne les designers dans leur pratique. Mais cette indéfinition est la source d’incompréhension, d’abord des designers entre eux, incapable de se mettre d’accord sur ce que “faire du design” veut dire, provoquant ainsi des batailles de chapelles idéologiques stériles car toujours décontextualisées (ou au contraire trop contextualisées). Mais aussi du monde du design vers le monde réel, où le design est à la fois une sorte de discipline mystique proche de l’art et une technique méthodologique permettant de maximiser un retour sur investissement.

L’acception moderne du design

Comme il n’existe pas de définition arrêtée du design, je propose de la reconstruire à partir de différentes sources. Pour cet exercice, j’ai demandé à des designers de mon entourage leur définition du design. La consigne était simple : Pour vous, c’est quoi le design ?

Comme on peut s’en douter les réponses étaient variées (voir annexe 1) et mêlées de leur subjectivité. En définissant le design, ce n’est pas qu’une pratique qu’ils expriment mais bien leur vision, les enjeux qui leur sont importants, leur sensibilité.

Dans leurs mots, le design est :

un procédé, un domaine, une activité, une discipline, un processus créatif ou une méthodologie dont le but est de donner forme, de concevoir, de comprendre et répondre à une ou des problématiques par la recherche (observation, questionnement, critique), la créativité, en associant art et esprit scientifique, l’intégration des utilisateurs finaux ou l’ergonomie fonctionnel et visuelle afin de produire un produit, un service ou une solution en le rendant désirable, plus agréable, compréhensible et maniable et ayant pour mission de faciliter la vie, apporter un bénéfice ou assurer un usage.

C’est un bon début mais encore un peu complexe. De son côté, l’Alliance Française du design le définit comme :

un processus intellectuel créatif, pluridisciplinaire et humaniste, dont le but est de traiter et d’apporter des solutions aux problématiques de tous les jours, petites et grandes, liées aux enjeux économiques, sociaux et environnementaux.

L’Organisation Mondiale du Design donne une définition qui se traduit comme :

une activité créative dont le but est d’établir les multiples qualités d’objets, processus, services et leurs systèmes dans tout leur cycle de vie. Par conséquent, le design est à la fois le facteur central de l’humanisation innovatrice des technologies et l’élément décisif d’échanges culturels et économiques. Le design concerne les produits, services et systèmes conçus avec des outils, des organisations et des logiques issues de l’industrialisation, pas seulement quand ils sont produits en série.

Si j’essaie de résumer ces trois définitions dans une phrase simple, on peut dire que le design est :

une activité dont l’objectif est de trouver des solutions par des procédés issus du monde industriel afin de produire des objets ayant pour mission d’apporter un bénéfice personnel, social et/ou économique.

Bien sûr cette définition fait perdre énormément de nuance parce qu’il manque telle ou telle vision, tel ou tel concept. Malgré ces manquements je pense que tout le monde sera d’accord pour dire que cette affirmation est représentative du design. Cependant, sachez que ce n’est qu’un point de départ, une base de réflexion.

Ma démarche

Que l’on soit clair, je ne suis pas un universitaire, je ne suis qu’un designer dont la grande majorité de l’expérience professionnelle s’est faite dans le numérique. Bien que j’ai essayé d’être rigoureux dans mes sources et mon travail, il se peut que mon propos soit biaisé (assez sûrement d’ailleurs). Pour avoir eu le plaisir de me pencher sur des publications d’universitaires pour lesquelles un outil de décryptage aurait été bien utile tant l’écriture érudite est complexe (amis universitaires, faîtes un effort s’il vous plaît), j’ai décidé de rester le plus simple possible dans la rédaction et de m’épargner les notes tous les 3 mots. Toutes les sources qui m’ont servies sont disponibles dans la section bibliographique. Faîtes-vous plaisir de les lire si le cœur vous en dit. C’est aussi pour cette raison que si certains passages peuvent sembler caricaturaux ou taillés un peu trop grossièrement, s’il vous plaît, ne m’en tenez pas trop rigueur. Ce qui compte c’est avant tout les idées plus que l’exactitude chirurgicale de tel ou tel fait. L’idée est de présenter les choses le plus succinctement et simplement possible. Peu de designers ont le temps de se consacrer à une thèse de 1000 pages sur le sujet, c’est dans cette optique que j’ai choisi l’option du “le plus court, le mieux”.

Se pose alors la question du comment. Comment passer d’une indéfinition à une définition du design ? On peut d’abord penser à l’approche sémantique. Décortiquer le terme design originel comme cela a déjà beaucoup été fait. Malheureusement cette méthode pose un problème d’interprétation. Le terme design s’étant construit dans le temps long à travers de nombreuses influences, il finit invariablement par être le nom de plusieurs choses à la fois. Pour Stéphane Vial, chercheur en philosophie du design, il désigne le projet. Tufan Orel, aussi chercheur en design, considère que le design désigne au contraire, l’objet final.

On pourrait aussi considérer l’approche de la pratique pour définir le design mais ici encore on peut se trouver dans une impasse. Les pratiques étant multiples, il est difficile de mettre tout le monde d’accord sur ce qui fait partie du design ou non. Le design est un champ complexe influencé par de nombreux facteurs. Sa construction historique regorge d’une accumulation de pratiques, de modes de pensée venus de courants aussi divers que variés. On pense avant tout à la technique propre du design née de l’art, de l’artisanat, de l’architecture puis de la typographie, de la photographie, de l’illustration… mais aussi à son approche globale dans d’autres disciplines comme l’ingénierie, le marketing, la psychologie, la sociologie…

Vient alors la problématique qui rend difficile ma démarche : Comment exprimer une définition du design sans pour autant devoir faire une encyclopédie du design ? D’abord parce que je ne suis ni historien du design, ni philosophe du design, ni sémanticien ou ingénieur, artiste…. Donc par principe ma vision est incomplète. Ensuite parce que la moindre simplification peut conduire à une mauvaise interprétation. Mais surtout, parce que je ne suis pas certain que chacun des lecteurs de ce livre n’ai envie (ni le temps) d’ingurgiter un panorama complet du design. Je vais donc devoir user de raccourcis, d’une pensée fondamentalement incomplète et d’une approche arbitraire. Je vais volontairement tronquer certaines parties pour ne me concentrer que ce qui est vraiment utile au propos. Mais pour ça il nous faut un point de départ. Et quoi de mieux que la définition moderne du design pour commencer. Une définition qui intègre l’histoire du design mais aussi sa vision actuelle.

L’approche sera donc la suivante : décomposer les principes conceptuels d’une définition généraliste du design (définie plus haut) pour tenter, par une approche critique, de déterminer leur pertinence.

Les articles de la série :

  1. Introduction : Définir l’indéfinissable
  2. Concevoir par des procédés issus du monde industriel : une méthodologie du design
  3. Solutions et bénéfices : à qui profite vraiment le design ?
  4. Produire des objets : anatomie d’un objet design
  5. Une activité de production
  6. Conclusion : Vers une philosophie éthique du design

Liste (incomplète) des ressources qui m’ont servi :

Livres

Le design — Stéphane Vial

Court Traité de design — Stéphane Vial

Écrits sur le design — Tufan Orel

Les nouveaux régimes de la conception — sous le direction de Armand Hatchuel et Benoît Weil

Design, introduction à l’histoire d’une discipline — Alexandra Midal

Le design des choses — Jean Louis Fréchin

Hooked — Nir Eyal

Design of Everyday Things — Don Norman

Emotional Design — Don Norman

La fabrique du crétin digital — Michel Desmurget

L’idéologie de la Silicon Valley — Revue Esprit (mai 2019)

Walt Disney Imagineering, A Behind the Dreams Look at Making More Magic Real — The Imagineers

The making of Star Wars — The definitive story behind the original film

Documentaires

Derrière nos écrans de fumée — Netflix

Abstract — Netflix

Beau et écolo : vers un design plus vertueux — Arte

Imagineers — Netflix

Articles scientifiques

https://www.cairn.info/revue-francaise-de-sociologie-1-2003-1-page-3.htm

https://www.cairn.info/revue-sciences-du-design-2015-2-page-71.htm

Podcasts

https://innovation-by-design.webflow.io/

Dessein Dessin

Design MasterClass

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Rémi Garcia

Designer d’expérience un peu rebelle, passionné d’éducation, touche-à-tout, illustrateur et auteur à ses heures perdues. Geek dans la vraie vie.