Conclusion : Vers une philosophie éthique du design

Rémi Garcia
3 min readMay 23, 2022

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De quoi le design est-il le nom ? (6/6)

Le design (la création délibérée) est fondamentalement neutre. De fait, le design n’est qu’un outil au service de l’idéologie de celui qui le pratique ou de son commanditaire. Aujourd’hui l’idéologie du design est majoritairement ancrée dans celle du néolibéralisme, une version débridée du capitalisme historique. Il s’incarne dans l’esprit de la croissance pour la croissance au détriment, parfois absolument inconscient, des gens et du monde qui l’entoure. Pourtant le design s’est toujours vu comme une force positive. Sortir les populations de la misère ouvrière, améliorer leurs conditions de vie, transformer la société et la protéger des rêves de grandeurs de la Grande Industrie. Aujourd’hui, à l’ère de ce que beaucoup de chercheurs appellent le Capitalocène, force d’organisation sociale qui a autant d’effet qu’une force géologique, qui détruit l’habitabilité de notre monde, enterre la démocratie sous la surveillance de masse, détricote le tissu social par toujours plus d’inégalité de richesses mais aussi par l’enfermement dans des bulles algorithmiques qui radicalisent les idées, d’uniformisation des cultures et des gens, le design doit retrouver cet esprit positif.

Tout un mouvement du design cherche à rejoindre cette idée dans des concepts comme le design éthique, l’écodesign, le design social,… Malheureusement ce n’est pas suffisant. La grande majorité des designers est employée par les entreprises pour faire vivre le modèle capitaliste et il est difficile pour eux de ne pas se sentir coupable face aux tâches qu’on leur demande. Et encore c’est seulement quand ils en ont conscience. Je croise régulièrement des designers qui ne se posent même pas la question et pour qui le système est très bien comme il est. Le design est neutre. C’est un outil au service d’une idéologie ou d’une autre. Mais peut-être faudrait-il revoir cette définition du design. Tout comme aujourd’hui le design est associé à l’industrie, peut-être que demain nous pourrions l’associer à la vie, à la liberté, à la justice ? C’est en tout cas la proposition que j’ai envie de faire en conclusion de cet essai.

Stéphane Vial enjoint régulièrement les designers à penser une philosophie du design, à sortir de cette indéfinition qui ne fait que perpétuer un flou. Le design n’est pas un objet mouvant, le design est et il s’adapte au contexte pour lequel il intervient. Le design c’est la création et elle peut créer pour positivement ou négativement. Alain Findeli propose que le but du design est d’améliorer ou au moins maintenir l’habitabilité du monde dans toutes ses dimensions. Ainsi le design doit assurer la vie sur Terre, permettre à chacun de bien vivre cette vie. Mais le design peut faire bien plus, il peut être dissident, critique, rêveur, divertissant,…. Les designers doivent aller plus loin que la vision fonctionnaliste du design comme outil de résolution de problèmes et se l’approprier comme une force de création d’utopies. Utopies au pluriel car il n’y a pas qu’une vision du monde.

Aussi peut-être faut-il arrêter d’appeler design ce qui ne répond pas à cet état d’esprit. Peut-être que la définition du design doit évoluer vers une activité de création d’expériences à travers une technique pour l’avènement d’utopies. Ne serait pas design ce qui ne combat pas les injustices, ce qui ne critique pas les rouages tordus du système, ce qui n’appartient pas à l’envie de créer un monde parfait où humains, nature et écosystèmes sont en harmonie, ce qui n’a pour ambition que d’alimenter une mécanique destructrice.

J’invite alors tous les designers à sortir des institutions traditionnelles pour porter un regard critique sur leur discipline et de travailler à la création d’une charte du design en prenant garde de ne pas tomber dans les pièges fallacieux du solutionnisme. Pour ma part je propose que le design redevienne sauvage, indiscipliné, créateur, rêveur, amateur, social, multiple, personnel, héroïque, artistique, fou, bidouilleur, drôle, divertissant, magique, …

Un design pour l’humain, pour le monde, pour l’utopie.

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Rémi Garcia

Designer d’expérience un peu rebelle, passionné d’éducation, touche-à-tout, illustrateur et auteur à ses heures perdues. Geek dans la vraie vie.